Poèmes du VOILIER PENCHANT.
.
Une seule vie
.
En guise de commencement évoquons une planche
une planche de sapin mince du genre qui sert
mettons à découper les tables d’harmonie des guitares
Ensuite le hasard nous offre avec sa spontanéité habituelle
le plumage vieux-rose d’une tourterelle
du genre qu’on apprivoisait parfois au temps jadis
et dont le souvenir nous revient comme un remords
.
Un peu rêche un peu rugueux le clair toucher du bois fibreux
On croirait qu’il veut que notre paume n’oublie pas
que c’est parmi les pentes et les roches qu’il a pris racines
à l’étage au-dessous de celui qu’habitent les marmottes
qui sifflent avec vigueur l’intrus en route vers les sommets
Si doux si lisse et tendre et tiède en revanche le plumage
de l’oiseau surtout caressé à l’endroit du jabot
.
Voici que la tête et le bec se relèvent avec confiance
et les yeux se ferment un instant pour mieux éprouver
ou peut-être savourer le glissement délicat de notre index
Tout le corps semble s’apaiser malgré son petit coeur
qui vibre à cent à l’heure si vite si vite – minuscule moteur
d’une vie frénétique dont nous partageons avec tous les vivants
le même ancêtre enfoui sous les millions d’années.
.
Argyronef
.
Cette nef d’argent qu’un souffle pousse
sur un océan de lumière, je la connais,
c’est la parole ! À l’aube quand s’ouvrent
à la croisée les premières rougeurs, elle
suscite son espace et navigue sans bruit,
rose nue sous l’oeil tremblant de la bougie …
.
Quelques astres complaisants l’orientent
en s’attardant parmi les reliques obstinées
de la nuit, jusqu’à ce qu’un disque de feu
éblouisse la plaine et pose sur les moindres
aspérités ses précieuses touches de silence.
Ainsi le pelage des eaux se hérisse d’éclairs.
.
Ainsi les mots s’articulent-ils en ailes puis
s’envolent libres, immaculés, illimités…
Le seigle devient règle, manque d’air, s’essore
aigle, avec en planant la tâche de sigler l’azur
du monogramme de l’infini ! Raison pourquoi
mon poème est soumis à l’absurdité du monde.
.
Le fantôme de Lélian sur la plage du Solenzara
.
L’expérience du chien :
ton ombre te suit partout regard
triste et cosmos fidèle
Tous y pensent la même chose
.
Tu scrutes les hauteurs où rien n’est encore
écrit : rien n’a taché la froideur blanche
pas même la chute de l’étoile
qui te guidait depuis si longtemps
.
Les cendres de tes passions
de tes espoirs dépourvus de bon-sens
sont fumée que le vent de mer
dissipe alors que depuis son balcon
.
l’inaccessible beauté te fait un pied de nez !
.
Déchéance
.
Au fond de toi
la chanson recule
pleine d’effroi
et de ridicule !
.
Tout ce passé
dans ton être en ruine,
coeur harassé,
son venin te mine.
.
Tu ne sais plus
tourner un poème
pour le salut
de ce que tu aimes !
.
Et tu attends
en vain que revienne
l’heureux printemps
de ta Muse ancienne.
.
Devinette
.
Certains êtres partout existent
comme stèles dont la présence interroge
De ceux-là, j’en ai connu bon nombre
En revanche d’autres plus rares n’existent pas
.
Leur silhouette ne fait pas d’ombre
Leurs traits sont flous, faits de nuages
aux révolutions d’or transparent
Et nul n’est intrigué de leur absence
.
Il ne s’intéressent qu’à l’inapparent
que l’invisible a ménagé dans le visible
afin que les mots et la musique nous révèlent
ce que nous sommes et ce que nous sentons
.
avant que tombe la Nuit sans étoiles.
.
Après-midi au Châtelard
.
Au-dessus de nos frissons les airs de mer
Ne nous cachons pas derrière les écumes
que nos reflets nageant entre l’illusion
salée et nous engendrent à chaque brasse
.
Un peu de réalité même torse comme
un vieux débris de tronc flotté nous suffirait
L’intense sentiment de vivre que trahit
le frissement des épis quand on traverse l’or
.
Moisson merveilleuse au flanc des montagnes
dont les corbeaux de la lumière en voletant
comptent les grains parmi l’ondoiement
Au clocher sonne la troisième heure après midi
.
Rendez-vous sous le tilleul près du rosier sauvage
L’ombre entière a trouvé refuge dans tes yeux
Ton sourire a choisi les lèvres du mystère
pour que nous nous aimions d’un même corps radieux.
.
.
Évidences douces
.
Les enfants, seuls, en continu perçoivent l’Apparition.
.
Comment déconnaître ce qu’incessament l’on reconnaît d’instinct ?
.
La joie simple des esseulés au bistrot le dimanche, voilà le départ.
.
Une étincelle en montant grandit lentement, s’épanouit. Des fumées laiteuses. Puis le noir.
.
À travers les prunelles candides et rouées de la vie commençante, se dénoue insensiblement l’embrouillamini des liens.
.
Les fleuves sont dangereux. Préfère-leur les rus et les torrents.
.
Sous l’ombrage troué de soleil, le réservoir pierreux où s’attarde le reflet du ciel. Les oiseaux s’y baignent.
.
Amandes assoupies constellez l’arbre de l’éveil, pour le bonheur de l’écureuil.
.
Le mystère est sans secret. Qui s’en souvient ?
.
29 juin 2016 – 18 h.
.
Nous sommes restés tranquilles
nous n’avons pas prononcé un mot
Dehors en cette fin juin pour une fois
ensoleillée claquaient des portières
.
Les Anglais quittent l’Europe Bye Bye
L’oeil du président socialiste brille
Attentat quarante morts à l’aéroport
d’Istambul qui fut Konstantinopolis
.
Au-delà ce sont les peuple déchirés
l’horreur du massacre au nom de dieu
les religieux qui se font la guerre entre eux
où furent Palmyre et les Jardins de Babylone
.
L’inexplicable du coeur
.
Ce que tu ne connaissais pas, aimer
au long des années te l’a fait connaître
en une sorte d’insomnie qui mêle joie et peine
et te tient constamment aux aguets
.
Tu ne t’habitues pas à la versatilité des jours
et des hormones Tu vis comme un Jivaro
sarbacane au côté dans la forêt vierge
Tu veilles à marcher sans faire craquer
.
le tapis des feuilles mortes sous tes pieds nus
La musique des oiseaux jacasseurs t’environne
La canopée tiède couve les pleurs d’une ombre
infinie ainsi que sous terre les racines d’un feu
.
Tu as dû apprendre a parler un idiome inconnu
qui pèse sur tes pensées et les détourne parfois
comme un courant inattendu détourne une pirogue
vers la rive fourrée que lèchent les longs reflets
.
Là-bas l’éternité, jeune femme aux cheveux bleus
réelle ou rêvée au bord des eaux lave un enfant
qui rit en éclaboussant les fleurs et le sol brun
avec des milliers de soleils minuscules...
.
Dos à dos
.
Appuyé contre une colonne
le cou voûté par les années
il médite sur sa vie passée
y recherche un brin de sens
.
Ici les enfants sont en vacances
plage ballon châteaux de sable
Là-bas les enfants sont en guerre
AK47 MicroUzi Kalachnikov
.
Ici l’ambiance est au patronage
aux grèves pour se sentir vivre
Là-bas est voté le droit de tuer
les femmes par une mort atroce
.
Les gens sont gras et font régime
ici avec manger bio pour seul souci
Le peuple a les joues creuses le teint
hâve et l’on connaît la faim là-bas
.
Et cependant ici comme là-bas
le climat se réchauffe La terre
se venge - affrontée à la Nature
pour l’Humanité la fin se profile.
.
Clin d’éternité
.
Dentelle d’un savonnier sombre sur le ciel du soir...
À droite les deux flèches roses du château pointent
les trajets blancs des avions dans le crépuscule
En bas le vieux village aux masures acagnardées
.
L’heure dorée s’étire à la surface lisse de l’estuaire
Une brume de conte de fée à peine laisse deviner
la rive en face où l’ombre doit envahir d’autres
venelles parcourues d’autres passants nonchalants
.
Le temps semble s’être si bien arrêté qu’un instant
je ne sens plus battre mon coeur et la croix noire
d’un dernier martinet reste en suspens dans l’air
indigo - jusqu’à se changer brusquement en étoile
.
.
Poésienne
.
Le soir chaque cri d’hirondelle vire à l’étoile !
.
Il pleut au port
.
Du soleil traverse la pluie
Sous chaque vague qui revient de loin
brille un fusil
La passante que tu croises sur le quai
a du gris dans ses yeux pervenche
.
Elle ne veut pas qu’on la regarde
serre sa veste sur ses seins
L’air a fraîchi Les voiliers qui tournaient
au large comme des jouets
sont rentrés s’aligner côte à côte
.
Forêt de mâts enchevêtrés aux fils pareils
à un concile de toiles d’araignées
Malgré l’averse un oiseau chante
au plus touffu du micocoulier
qui veille sur la place désertée
.
Un avant-toit m’abrite En patientant
je songe que je ne suis pas solitaire
par goût mais par nature :
crabe lunaire à la pince disproportionnée
qui la nuit écris sur du sable
et le jour cherches Aïlenn sous la pluie !
(Garavan – avril 2002)